23e séminaire – 2015

Normes, règles, lois : quels repères pour l’institution éducative ?

Discours d’ouverture

Il s’agit du 23ème séminaire de l’AVVEJ, ce qui fait que nous nous approchons tout doucement d’une pratique d’un demi-siècle, durant lequel ces séminaires auront été l’occasion d’interroger notre environnement et de témoigner des fondements et de l‘évolution de notre travail et de nos métiers, de l’éducation en général et de l’éducation spécialisée en particulier. Les actes qui les restituent sont autant de traces qui nous laissent un héritage riche, et la responsabilité que suppose tout héritage : en être dignes, ne pas le dilapider et le faire fructifier. 

Serge Raguideau, ancien Directeur général de l’AVVEJ

Normes, lois, règles : variables de l’économie des biens symboliques des travailleurs sociaux

En dépit du manque de reconnaissance (sociale, médiatique, politique, professionnelle), voire parfois même du discrédit qu’ils subissent ; des attentes (des usagers, de leur service, de leur hiérarchie, des autorités mandantes, des politiques, etc.), souvent difficilement conciliables, dont ils sont investis ; des moyens, généralement dérisoires, dont ils disposent ; des relations, parfois difficiles, avec les populations encadrées… les travailleurs sociaux, quotidiennement, mettent en oeuvre les politiques sociales et sont « au service » des franges les plus précarisées des classes populaires.

Jean-François Gaspard, sociologue

Nouvelles normativités et violence dans les institutions

Ma réflexion se situe dans le champ des recherches actuelles qui visent à mieux comprendre les interrelations et les nouages entre les espaces psychiques personnels, groupaux et institutionnels dans leurs adossement à l’arrière plan social et culturel. Ce que René Kaës à désigné comme une métapsychologie de troisième type, que l’on peut aussi définir comme une métapsychologie des espaces psychiques coordonnés et interférents.

Jean-Pierre Pinel, psychologue et psychanalyste

En séance plénière, évocation d’une rencontre entre des jeunes filles de l’OUSTAL et les auteurs du livre. Intervention de l’éducateur (au centre) artisan de cette action.

Quand j’étais petit, on m’a retiré de ma famille

Les auteurs du livre conçu dans le cadre des 3A, anciens d’un des établissements de l’AVVEJ ont présenté l’ouvrage et ses conditions de fabrication. Un travail qui s’est étiré pendant quatre années pour retrouver un passé souvent douloureux et lui donner une forme par l’écriture. Les auteurs ont échangé avec un public composé en grande partie de jeunes éducatrices et éducateurs.
Les questions ont permis aux anciens de proposer un témoignage singulier, souvent empreint d’émotion et trop rarement recherché et exploité pour la compréhension des effets durables du travail social. Tous, au delà des évènements de la vie institutionnelle qu’elle ait été,  mettaient l’accent sur l’importance déterminante pour leur propre construction de la relation à l’éducateur.

Transmission et sanction

La loi, la règle et la norme, une affaire de transmission et de limites. Au niveau de nos institutions éducatives, cette relation réunit un caractère particulier et informel dans un cadre institutionnel. Elle repose sur un lien interpersonnel qui vient éclairer la nature du rapport qui se noue entre l’émetteur et le récepteur (éduquant-éduqué) dans une relation dissymétrique : posture d’accueil d’un côté et relation de confiance de l’autre. La sanction intervient quand la capacité de transmission qui diffère en fonction des sociétés, des personnes et des pédagogies atteint ses limites.

Abdel Ajenoui, animateur des débats

Cette relation duelle passe par un tiers représenté par les savoirs, les connaissances, la culture,…qui garantissent que cette relation ne s’abime pas dans le jeu des affects. La sanction intervient alors quand la capacité de transmission qui diffère en fonction des sociétés, des personnes et des pédagogies atteint ses limites. En dehors du texte de M. François Hebert invité de cette table ronde, l’ensemble des écrits et des schémas est le résultat d’un travail de réflexion et d‘échange mené par les équipes pédagogiques de l’AVVEJ dans le cadre de réunions de travail trimestrielles.

Ce Schéma a été réalisé à partir des notes prises lors des rencontres trimestrielles d’échange et de réflexion, autour de notre pratique, qui ont réuni les éducateurs scolaires de l’atelier scolaire Rencontre 93, de l’école interne de l’Oustal, de l’ITEP Le Logis et du SAU 78.

De la punition comme sanction-reproduction qui institue l’enfant comme mauvais objet, à la sanction comme réparation constructive, « comme outil de réintégration pleine et entière d’un citoyen dans le corps social ».
Robert Badinter

Les interventions

Gare aux lois

Le cheminement que je vous propose de faire va s’articuler de la manière suivante : je vais vous raconter une histoire, de cette histoire quelques interrogations, je poursuivrai avec un essai de définition de la loi, la règle et la norme et une conclusion sur le sujet.

Véronique Ledos, coordination projets, Rencontre 93 

Transgression et modes de réponses : du miroir au Tiers

Nous nous intéresserons à ce que peut signifier une transgression, et comment l’institution scolaire et / ou éducative peut être amenée à réagir traditionnellement. Dans un deuxième temps, nous verrons comment les modes de réponses du côté coercitif peuvent amener les professionnels à se faire l’économie d’une mise en réflexion autour de ce que signifie le passage à l’acte et les conséquences pour le jeune comme pour l’adulte, jeunes eux-mêmes victimes de transgression de la loi par les adultes proches. Mon intervention se fera avec cette question de fond: La transgression est-elle le symptôme d’un défaut de transmission agissant dans la relation ?

Sylvain Diaz, psychologue

La sanction

Quand nous parlons de sanction, nous pouvons faire appel à nos souvenirs d’école, plus ou moins lointains. En effet, dans le lieu des premières expériences de socialisation, certains d’entre nous se remémoreront les lignes d’écriture, les devoirs supplémentaires, les piquets, coins ou autres bonnets d’ânes. Et puis, d’autres entendront les réprimandes, « tu sors, je ne veux plus te voir » ou « heure de colle, ça t’apprendra ! ». Mais au fait, ça t’apprendra quoi ?

Laëtitia Goyeau, éducatrice scolaire spécialisée, SAU78

Accueillir la parole.
 
Je suis éducatrice scolaire spécialisée, c’est en tout cas ce qu’indique ma fiche de paye. Je ne suis pas du tout éducatrice de formation, mais je pense l’être profondément dans l’âme depuis toujours. Ça fait maintenant une dizaine d’années que je suis arrivée à l’Oustal à Versailles par le hasard et par la chance d’une rencontre. J’ai démarré bénévolement en proposant une fois par semaine quelques heures d’esthétique avec nos jeunes filles. Quel coup de foudre professionnel ! Coup de foudre quasi immédiat. Vraiment je ne peux le nommer autrement ! Une révélation ! J’ai donc compris très vite où était enfin ma place professionnellement, tout en ayant quelques craintes liées au fait que je ne suis pas formée dans ce domaine.
 
Valérie De Chalendar, éducatrice scolaire, l’Oustal
 
La posture intérieure.
 
 
Nous sanctionnons négativement mais cela n’y fait rien, ces jeunes recommencent et nous poussent à bout… Peut-être que la punition n’était pas assez sévère ? Ou peut-être que ce type de sanction ne produit pas les effets escomptés ? Face à la transgression, dans quelle mesure pouvons-nous nous positionner pour ne pas reproduire ce qu’ils ont toujours vécu ? Comment répondre autrement pour interroger l’autre dans son fonctionnement et l’étonner ? Quelle posture doit-on choisir ?

Ingrid Hoarau, éducatrice scolaire, Rencontre 93

Cette action s’est présentée sous la forme d’un jeu. Les animateurs ont fait deviner aux concurrents quelles sont les occurrences les plus répandues en association avec les mots « institution » et « voilier ». Il y a une prime sous forme de scénette, de film, de texte ou de chant lorsque la solution est trouvée.
L’atelier présentait le projet mis en place au Vieux Logis tout au long de l’année par deux éducateurs en partenariat avec le comité départemental de plongée du 91.
Un support vidéo permet de voir évoluer les adolescents du début de l’activité jusqu’au passage du diplôme fédéral de niveau 1. L’activité s’est accompagnée d’une sensibilisation à l’environnement et de différentes actions qui ont permis à ces jeunes de développer l’entraide et la confiance en soi.
Avec la participation du Dr. Davoudian, médecin PMI en Seine-Saint-Denis, membre de la WAIHM francophone, auteure de deux films « Accoucher en terre étrangère » et « Une terre d’avenir ». L’atelier expose au moyen d’un film, le parcours de jeunes femmes enceintes et/ou avec enfants pour s’insérer en France, dans le contexte légal et réglementaire en vigueur.
10 jeunes accueillis au SAU78 ont répondu à un questionnaire sur leur perception de la loi, la règle et la norme dans différents domaines les concernant : la société, leur lieu de vie, leur environnement professionnel. Cadrage unique et questions identiques, le film juxtapose les réponses tour à tour directes, hésitantes, parfois contradictoires, desquelles se dégage entre autres l’idée que le respect de la loi se construit en même temps que le respect de soi.
L’atelier était découpé en trois temps. Recueil de données à froid : définition des notions de norme et de créativité. Mise en température : expérimentation la norme et la créativité à travers des mini-ateliers. Temps d’expression à chaud : présentation de l’œuvre finale puis débat autour de l’expérience vécue par les participants.

Atelier : obtiens ton job et fait virer les autres, bienvenue dans le happy world 

Invités à participer à un jeu organisé par une boite de coaching privée qui propose au secteur socio-éducatif des cessions de formation pour devenir Happymanager, 27 potentiels winners ont eu à s’affronter dans une série d’épreuves qui permettaient de déterminer qui allait être « sélectionné », puis « éliminé » … Bienvenue dans le Happyworld ! Le monde heureux d’un secteur social moderne soumis entièrement à une logique comptable et gestionnaire, devant rendre compte uniquement d’actes  traçables, quantifiables, contrôlables et rentables. Un monde de directeurs heureux, que disons-nous, d’happymanagers, venant tout droit de l’entreprise privée lucrative, appliquant à la lettre les modèles de management qui ont su si bien faire leurs preuves en termes de productivité et de rendement. Imaginez maintenant d’anciens éducateurs formés au coaching, sachant relooker, jogger, expertiser, monter des projets innovants qui rendent happy … ça fait rêver non ? 

L’institution : des repères pour soutenir le processus adolescent

La métaphore du bateau employée lors de ce séminaire favorise la figuration de la dynamique institutionnelle au sein de laquelle les voiles se hissent, les matelots se coordonnent, les directives sont données, les ancrent sont levées et le cap est gardé pour que la destination, celle de faire grandir les moussaillons à bord, puissent être atteint dans un contexte le moins houleux possible. Ces jeunes cherchent à effectuer un passage d’une rive à une autre ; processus de perte, quitter l‘enfance, pour accéder un nouvel état nécessite des points d’ancrage fixes et rassurants. Cette traversée entre l’enfance et le statut d’adulte amène forcément à des réaménagements que nous devons soutenir grâce, entre autre, à des références communes qui structurent le sujet dans le socius.
 
Camille Curbilie, psychologue, La Passerelle

Entre la loi et la règle : la norme, un concept polémique

Nous montrerons que le recours à la norme vise à stabiliser ce qui apparaît ici comme l’effet négatif de cette structure en tension, dissymétrique, contradictoire et antagoniste. Entre la loi qui
donne les principes de la rationalité institutionnelle et la règle qui vise à faire prévaloir l’esprit d’ensemble, la norme se donne comme un concept polémique qui recouvre ce que la loi et la règle comportent de rapports de force, de domination et de pouvoir. Expression d’un cérémonial bureaucratique qui cherche à faire aimer le pouvoir en entretenant la soumission, l’imposition des normes suppose que la culture puisse fonctionner comme une nature définie comme ce qui serait le « normal ». Pour une association comme l’AVVEJ, le travail de normalisation vient buter sur la vérité que recèle « l’enfant en difficulté », à savoir que la vie ne s’élève à la conscience d’elle-même que par l’inadaptation, l’échec et la douleur.

Jacques Deschamps, philosphe

Regard historique sur les débats actuels autour de normes, lois, règles

Jean-Jacques Yvorel est historien, responsable du département « sciences humaines » à l’ENPJJ et rédacteur en chef de la Revue d’histoire de l’enfance « irrégulière ». La suite de sa présentation est à retrouver en intégralité ici.