Elles ont environ onze ans. Elles s’arrêtent à la boulangerie pour déguster des viennoiseries avant de se rendre au cinéma voir le film Annabelle, l’histoire horrifique d’un couple sauvagement assassiné par une poupée dans leur nouvelle maison, où ils venaient d’emménager. 

Dans la pénombre de la salle, elles serrent les dents. Elles craignent de faire des cauchemars cette nuit. Ces filles s’appellent Nadia et Laura. Toutes les deux ont de longs cheveux. L’une a les yeux bleus, l’autre marrons. Elles se connaissent depuis leur plus tendre enfance, s’amusant toujours ensemble. 

Après le film, Laura rentre chez elle. Nadia préfère traîner un peu… attendant le coucher du soleil. Elle a laissé une lettre à ses parents, dénonçant les coups de ceinture de son père et criant son ras-le-bol des dépressions à répétition de sa mère. Elle sait qu’ils vont à nouveau se disputer, l’un accusant l’autre de maltraitance, sans oser reconnaître leurs torts. 

“Et quand les rires s’en vont, je coule…” murmure Nadia, en avançant doucement vers le lac, sous un ciel chargé qui menace de se vider à tout moment. Elle se rend compte qu’elle a oublié son cahier intime. Hélas, elle ne pourra pas le récupérer. Elle se tait pour mieux écouter la nature humide, ferme les paupières pour mieux sentir l’eau pénétrer ses vêtements. Cette nuit- là, Nadia est sauvée in extrémis de la noyade. Ses parents ont eu le bon sens de signaler sa disparition. 

Nadia est placée dans un foyer d’accueil. Un peu timide, elle a du mal à se faire des amis. Parfois, le souvenir de la projection d’Annabelle vient la hanter, mais heureusement qu’il y a la présence rassurante de Laura … Laura, cette amie imaginaire qu’elle s’était créé de toutes pièces pour survivre, pour supporter toutes ces douleurs et pour se donner ensuite le courage de fuguer afin d’échapper à l’emprise dévastatrice de ses parents. Une voix derrière la porte l’appelle : « Nadia… ». « Entre » répond-t-elle. Et Laura parait. 


K. S., dans le cadre de l’atelier d’écriture organisé par la Metis et animé par l’écrivaine Selma Guettaf