Cette année a vu une augmentation des demandes d’entretiens individuels, ceux-ci ayant alors triplé. Je remercie à ce titre mon collègue M. Kevin Chavanne qui a pu m’orienter ces parents et fait véritablement vivre, par sa collaboration, la « fonction du psychologue » au sein du service du Club des Parents.  

Je constate en premier lieu qu’il reste difficile pour les parents de pouvoir accéder à des consultations en libéral. Le prix des consultations explique en grande partie cette difficulté d’accès. Mais nous pouvons également ajouter à cela le rapport même que les parents peuvent entretenir avec la fonction du psychologue, souvent confondue avec celle du médecin psychiatre. Se rendre dans un CMP peut être quelques fois compliqué compte tenu des signifiants symboliques que le lieu génère chez les parents. Autrement dit, bien des parents ont peur d’être identifié à la maladie mentale, au handicap psychique ou encore à la folie.  

Pourtant, la fonction de la parole et du langage comme première forme d’extériorisation des souffrances, des questionnements est assez universelle chez l’être humain et a toujours, pour ainsi dire, existé au sein de notre espèce en témoignent les travaux des archéologues, des anthropologues, des historiens, etc. Se libérer donc, c’est aussi prendre soin de la parole de l’autre pour reprendre cette formule de Laurent Dupond. Encore faut-il, de primes abords, décrypter la fonction du psychologue pouvant occuper, dans bien des représentations, des mouvements de crainte ou bien de fascination. C’est que ce professionnel ne laisse pas indifférent. C’est finalement par le décryptage de la fonction que cela commence. Qu’est-ce qu’un psychologue et à quoi peut-il servir ? 

Il est une autre frange des parents, qui, au contraire, éprouve un véritable besoin d’être entendu, de se raconter dans un espace-temps dédié. Ils sont en grande demande de temps de consultation. Ils occupent alors cet espace de parole avec une très grande régularité. Bon nombre d’entre eux disent aussi que le Club Parent facilite cet accès au psychologue du fait de la configuration spécifique du service, et dont les représentations (par l’étude du champ lexical et des représentations) nous indiquent que le lieu recouvre une forme d’apaisement du fait de sa configuration, mais également de l’ambiance qui y règne. Les couloirs sont pleins de photos, de toiles de graffitis et de pochoirs, de poèmes, etc. Ce caractère presque familier rassure et facilite d’autant plus la possibilité de se poser et de déposer sa parole. Je reçois donc des parents dans cet espace associatif qu’ils connaissent bien. 

Le travail a si bien démarré depuis deux ans qu’il m’arrive de dépasser la demande individuelle et de recevoir les familles. Changer certains paramètres des systèmes familiaux, lorsque ces mêmes, ces derniers génèrent trop de souffrance (et dont les mouvements défensifs sont trop coûteux), nécessite, en réalité de travailler avec chacun des membres de la famille quand cela est possible. Cependant, au fur et à mesure de ma pratique, je constate que les adolescents en difficulté sont des témoins de systèmes familiaux en souffrance. Si bien que travailler avec les parents est devenu pour moi une évidence. Si l’on protège ou l’on soigne un adolescent, qu’en est-il du parent qui, alors non conscient (ou alors en partie) de ses fonctionnements, participe toujours à un système qui ne permet plus de sortir de ses difficultés ? 

Les parents estiment parfois que leur enfant est difficile (c’est peut-être vrai.) mais une famille et son fonctionnement ne peuvent pas se réduire à l’expression symptomatique de ce que leur enfant manifeste. Chacun y tient un rôle et chacun possède un rapport singulier à son système familial. J’ai donc proposé de recevoir des parents individuellement, comme en famille. J’ai recours aux entretiens cliniques classiques, tout comme à des outils issus de la systémie (jeu de carte, boite à problème, génogramme) ou des outils d’expression appartenant à la discipline des arts plastiques en instaurant des groupes de médiations. 

Durant l’année 2018-2019, un atelier de groupe, basé sur l’expression par le biais de la peinture et des arts plasmatiques s’est tenu, accueillant jusqu’à sept participants. Cet espace reposait sur un fonctionnement propre aux groupes de paroles, mettant l’accent sur le respect de l’expression plastique de chacun ou de sa parole. Les séances avaient lieu tous les quinze jours pour une durée de deux heures et demie. Plusieurs dizaines d’ouvrages ont été ainsi réalisés. Chacune des séances démarrait autour d’une boisson (café ou thé) puis par l’installation de la salle et du matériel d’art plastique. Une thématique était proposée en alternance avec des thématiques libres. 

Les objectifs de cet atelier ont été multiples. Il s’agissait avant tout de proposer un espace-temps de découverte de soi et dont les effets ont été propres à chaque participant. Les arts plastiques facilitent très souvent la possibilité de parler de quelque chose de nous-même, quelques fois de l’ordre de l’indicible et qui peut nous traverser. C’est en ayant recours à cet autre langage que la parole prend alors appui sur un ouvrage (principe de sublimation). Cet atelier amenait alors tous les participants à vivre une sorte d’expérience individuelle et collective à partir desquelles on retrouvera facilement ce que Winnicott nommait les phénomènes transitionnels. C’est que l’on se concentre, qu’on laisse le silence s’installer. Les participants se détendent après avoir réfléchi à ce qu’ils avaient envie de projeter sur les toiles. On échange un peu avec les autres, puis l’immersion arrive. On s’arrête puis on prend du recul sur la toile, support de nos projections spatiales immédiates. Quelques fois, on laisse aller le geste sans véritablement savoir à quoi s’attendre exactement en matière de résultat. On essaie les couleurs, les différents outils ; on teste, on repasse, on corrige, puis l’on s’arrête… La toile est terminée. 

La fin de l’atelier était l’occasion de partager ensemble le fruit du travail de chacun. On ne critique pas ! On a la liberté en revanche de dire (ou pas) ce que l’on avait envie de d’exprimer sur cette toile, d’expliquer le comment-le sujet, la thématique qui nous a traversé l’esprit et l’intellect. Comment chacun s’est emparé de la thématique pour venir témoigner de quelque chose de soi (et très souvent d’intime). Quelques mots suffisent, mais toujours, sans entrer dans les détails. 

Je peignais également avec eux.  Comment les parents ont-ils pu qualifier cette expérience ? Plusieurs termes revenaient par récurrence : détente, calme, concentration, se faire du bien, trouver du plaisir à faire. 

Je dois avouer que je ne m’attendais pas immédiatement à ce type d’effets. Les parents découvraient ou redécouvraient des temps de bien-être. Un « espace-temps » où ils pouvaient penser à eux, et bien souvent, se défaire de certaines tensions du passé ou du quotidien. Penser à soi donc, ne plus être uniquement un parent, mais revenir à ce que l’on est aussi, un homme, une femme, un enfant ou un adolescent dans le parent qui a dû quelques fois renoncer à lui-même pour assumer des responsabilités qui ne permettaient alors plus de pouvoir revivre ces temps d’expérimentation. 

En tant que psychologue, j’avais déjà mis en place un certain nombre d’ateliers, qui se rapprochaient davantage des dispositifs de groupe de parole. J’ai découvert, (à mon tour, puisque ce type de dispositif n’a rien de nouveau), que les temps d’atelier usant des techniques d’art plastique apportaient une dimension insoupçonnée à mon travail qui m’a surpris par la capacité que les parents ont eu de s’emparer de cet espace et d’en faire, chacun à leur manière, un espace de consolidation de soi. 

Je réitérerai cette expérience groupale dès la rentrée de septembre 2020 au regard de ce que cela a apporté au groupe, mais surtout parce que les parents sont toujours très demandeurs de ces temps-là.   

Sylvain Diaz, psychologue