« Comment l’enfant peut-il s’épanouir quand la figure qui doit le protéger massacre l’autre parent ? », interroge Nataly Fermin Grillet, cheffe de service du SAEMO de Paris. Derrière elle, une affiche rappelle aux mineurs qu’ils ont des droits, et notamment celui d’être protégés contre « toute forme de violences physiques, mentales, sexuelles et verbales ». Dans son bureau où elle reçoit familles, jeunes et équipes pluridisciplinaires, la lutte contre la maltraitance s’affiche en grand sur les murs.

Ces réflexions ont été consolidées par une formation sur l’impact des violences conjugales sur l’enfant, au sein de couples ou dans des familles séparées. En novembre 2019, la docteure en psychologie clinique Karen Sadlier a animé deux jours de conférence mutualisée avec les autres services d’AEMO de l’association (Les Amandiers, la Marelle et le SIOAE 93), qui avait pour but de « sensibiliser les professionnels aux problématiques psychologiques, familiales et sociales des enfants face à la violence dans le couple ». Un an plus tard, que reste-t-il de cet échange ?

L’enfant, une « co-victime »

« Pour les services d’AEMO, c’est primordial, c’est une base fondamentale », assure Nataly Fermin Grillet. En poste au service de Paris depuis deux ans, elle a pu mesurer l’impact de la venue de Karen Sadlier sur les psychologues, les éducateurs et l’ensemble des équipes du service. « Ça nous a permis consolider la mise en place des outils de diagnostic pour mieux évaluer les conséquences sur les enfants», explique-t-elle. Recevoir les parents séparément, tenter de faire parler les jeunes de leurs émotions, mise en place d’outils pour se déstresser… La panoplie est vaste pour consolider le travail fourni par les équipes. Cette formation a aussi permis d’introduire une notion capitale : celle de « co-victime ». « Dans les situations de violences conjugales, les adultes peuvent facilement banaliser l’impact sur l’enfant,, alors qu’il est lui aussi victime, même s’il ne reçoit pas de coups », détaille la cheffe de service. Et si le jeune est également victime, il faut alors lui apporter une attention, une écoute et des soins particuliers.

« Ce travail, on le fait à travers le jeu, la création d’espaces de paroles neutre, et l’orientation des parents vers une communication non violente », énumère Maïmouna Anne-Bah, éducatrice spécialisée à Paris. Elle aussi a suivi la formation du Docteur Sadlier, de laquelle est née une vigilance particulièrement accrue sur ces questions. « Parfois, le parent violent a lui-même évolué dans un contexte de violence conjugales étant plus jeune. Quand il devient parent à son tour, ces problématiques vont se rejouer dans ses relations conjugales et ça amplifie le phénomène. Il faut alors déterminer s’il peut se remettre en question, reconnaitre de sa responsabilité et intérioriser la loi », continue l’éducatrice. Un sujet central en AEMO, où la majorité des mesures sont concernées par les problématiques de violences conjugales, avec des enfants parfois directement visés par les coups.

Rétablir la confiance en l’adulte

En plus du danger évident auquel est exposé le jeune dans ces situations, il arrive qu’il s’identifie à l’un des parents, soit à l’auteur des violences soit à la victime, et adopter ses agissements. Dans le premier cas de figure, le jeune peut alors « repousser l’autorité, développer des mécanismes de survie, des troubles du comportement, de l’apprentissage, avoir des mouvements défensifs…Beaucoup d’enfants qui sont dans la pré-délinquance ont été co-victimes de violences conjugales », déplore Nataly Fermin Grillet. En cas de placement, les équipes d’AEMO doivent rester attentives à ces comportements et essayer, par un travail d’accompagnement, d’écoute et de soutien, de rétablir la confiance brisée du jeune en la figure de l’adulte.

Depuis la réforme de la Protection de l’enfance en 2016, les équipes d’AEMO ont recensé des améliorations sur le traitement de ces thématiques, notamment une meilleure qualification des faits de violences par les magistrats, à différencier du fréquent « conflit conjugal ». Une bonne prise en charge, cela passe aussi par la formation de professionnels : des équipes d’AEMO, de la protection de l’enfance, mais aussi des magistrats et de la police. « Aujourd’hui, certains juges nomment les violences, les répercussions. La violence conjugale n’est plus vue comme un conflit mais bien comme un danger », résume la cheffe de service.

Ces dernières années, le travail colossal des associations de protection des victimes fait la lumière sur les violences conjugales et les féminicides, ce qui permet, petit à petit, de placer ces violences au cœur du débat. Cette formation est intervenue quelques mois avant la pandémie de Covid 19 et les confinements qu’elle a engendrés. De mars à mai, les appels au 199, numéro d’écoute enfance en danger, ont quasiment doublé. Garder le lien avec les familles et les jeunes en ces temps particuliers est donc primordial, pour garantir au mieux la continuité des missions de protection, de soins et d’accueil des services de l’association.